Entre guerre et paix : les relations diplomatiques entre Ali Khamenei et les puissances arabes
Pendant toute la durée du mandat de l’ayatollah Khomeini, les relations entre la République islamique d’Iran et les pays arabes du Moyen-Orient étaient tendues. Cela peut s’expliquer facilement : juste après la Révolution islamique, Khomeini avait appelé les populations des pays arabes à se soulever contre leurs dirigeants.
La première confrontation notable entre la République islamique et un pays arabe remonte à la signature des accords de Camp David de 1978 entre l’Égypte et Israël, qui permit d’initier un processus de paix entre ces deux pays. Dans un message adressé en avril 1979 au ministre égyptien des Affaires étrangères de l’époque, Ebrahim Yazdi, Khomeini avait écrit : « compte tenu de l’accord traître entre l’Égypte et Israël et de l’asservissement du gouvernement égyptien aux États-Unis et au sionisme, le gouvernement provisoire de la République islamique va mettre fin à ses relations diplomatiques avec le gouvernement égyptien. »
La guerre de 1980-1988 entre l’Iran et l’Irak a aggravé les tensions entre l’Iran et les pays arabes du golfe arabo-persique. Le soutien apporté par la République islamique aux groupes antigouvernementaux dans ces pays et la multiplication des discours sur « l’exportation de la révolution » a conduit nombre de ces pays à soutenir secrètement ou publiquement le régime de Saddam Hussein pendant ce conflit qui a duré huit ans.
L’Arabie saoudite a officiellement soutenu Saddam Hussein, qui a par la suite recueilli l’appui d’autres pays arabes après avoir lancé un appel au « nationalisme arabe » plutôt qu’au « chiisme persan ». Ces accords eurent de nombreux dommages collatéraux à commencer par l’attaque meurtrière, en 1987 à la Mecque, de 400 pèlerins chiites par les forces de sécurité saoudiennes, quelques mois avant la mort de l’ayatollah Khomeini. Les liens qui ont pu se tisser, ou se défaire, pendant toute cette période ont eu de nombreuses conséquences, encore visibles aujourd’hui.
Khamenei et la détente avec les pays arabes
Le premier événement marquant les relations arabo-iraniennes sous l’ère Khamenei a été l’occupation du Koweït par l’Irak et la première guerre du Golfe visant à libérer le Koweït en 1990. Malgré la neutralité choisie de la République islamique dans ce conflit mais, le pays a profité de cette occasion pour tenter d’améliorer ses relations avec d’autres pays arabes, tout en leur rappelant leur soutien antérieur à Saddam Hussein.
Le président de l’époquem Akbar Hachemi Rafsandjani, souhaitait à tout prix reconstruire les relations avec l’Arabie saoudite. Sa rencontre avec le roi Abdallah lors du sommet islamique de 1991 au Sénégal a joué un rôle important dans cette détente. Le président Rafsandjani a multiplié ses déplacements en Arabie saoudite et ses rencontres avec les officielles du royaume, tout le long de sa présidence.
Le successeur de Rafsandjani, le président réformiste Mohammad Khatami, lui a emboîté le pas et les relations entre l’Iran et les pays arabes du golfe Persique et l’Égypte ont continué de s’améliorer. La politique étrangère de « rapprochement avec les voisins » de Khatami a été plus ou moins bien accueillie par les pays arabes.
C’est plus tard que les relations avec les pays arabes ont recommencé à se détériorer, lorsque la République islamique a commencé à soutenir publiquement des groupes paramilitaires dans la région, tels que le Hezbollah libanais, les rebelles houthis au Yémen, et les groupes palestiniens armés plus extrémistes. C’est à cette même période que Khamnei créée la Force expéditionnaire Qods des Gardiens de la révolution.
L’attentat des tours de Khobar en Arabie saoudite
Les relations amicales entre l’Iran et l’Arabie saoudite se sont poursuivies jusqu’au début de 1996, mais le soir du 25 juin de cette année-là, un attentat terroriste contre un complexe résidentiel dans la ville saoudienne de Khobar – où était logé le personnel de l’armée de l’air américaine stationnée à la base aérienne voisine de Roi Abdulaziz – a tué 19 membres de l’armée de l’air américaine et blessé 498 autres.
Le gouvernement saoudien a informé Hachemi Rafsandjani que deux des terroristes s’étaient enfui en Iran. Téhéran a toutefois toujours nié avoir été impliqué dans cette attaque terroriste, ni avoir offert un refuge aux auteurs de l’attentat. Finalement, en 2015, vingt ans après l’attentat, le cerveau présumé de l’attaque a été arrêté à Beyrouth et remis aux autorités saoudiennes. Il s’agit d’Ahmed al-Mughassil, le chef du Hezbollah al-Hejaz, un groupe militant chiite allié à l’Iran, qui depuis l’attaque aurait vécu à Beyrouth sous la protection du Hezbollah, groupe allié et qui agirait sous les ordres de l’Iran.
Fait notable : après cet attentat à la bombe, l’Arabie saoudite n’a pas fourni aux États-Unis d’indices sur l’identité des auteurs. Dans ses mémoires, Akbar Hachemi Rafsandjani écrit à plusieurs reprises que des responsables saoudiens lui avaient envoyé des messages pour lui dire qu’ils n’avaient pas fourni cette information aux Américains, car ils espéraient que le dossier pourrait être réglé entre les deux pays.
Des documents, publiés par les archives de la sécurité nationale des États-Unis, révèlent que « pendant au moins deux ans, le gouvernement saoudien a rejeté les demandes américaines d’accès à des preuves essentielles, collectées en interrogeant des suspects en détention saoudienne » et que le président Bill Clinton a même envisagé de lancer une attaque contre l’Iran.
Le rapprochement se termine
Les attentats du 11 septembre 2001, la guerre menée contre l’Afghanistan et l’Iraq qui en ont découlé, et les tensions qui ont suivi sur la mise en place du programme nucléaire de la République islamique ont totalement redessiné les contours des relations diplomatiques entre les puissances arabes et l’Iran. Cette série d’évènements a également changé de manière irrévocable les relations entre l’Iran, l’Occident et les pays arabes. Ces derniers ont commencé à craindre que le programme nucléaire iranien ne fasse pencher la balance des pouvoirs dans la région à l’avantage de l’Iran. Deux événements ont aggravé ces soupçons : l’arrivée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2005 et l’élection d’un gouvernement chiite en Irak plus tard cette même année.
Ahmadinejad est devenu président de la République islamique à un moment où, après 16 ans de compromis, les relations entre l’Iran et ses voisins arabes étaient devenues bien meilleures qu’elles ne l’avaient été après la révolution islamique et pendant la guerre Iran-Irak. Mais ses relations avec les pays arabes étaient tendue.
Quand vint le mouvement des printemps arabes en 2011, les responsables de la République islamique se sont prononcés du bout des lèvres en faveur des manifestants pro-démocratie dans le monde arabe. Mais lorsque la vague de soulèvement populaire a déferlé en Syrie, la position iranienne s’est faite beaucoup plus claire : Téhéran est venu aider le régime d’Assad dans la répression brutale du peuple syrien. Dans la guerre civile qui a suivi, contrairement à d’autres pays de la région, la République islamique a envoyé des troupes pour soutenir Assad.
Pendant ce temps, alors que la violence communautaire ravageait l’Irak, la République islamique a cherché à renforcer son influence dans ce pays par le biais de milices et de factions pro-iraniennes. Les pays arabes ont appelé de façon répétée à l’arrêt de ces « actions de déstabilisation » et de l’ingérence de la République islamique dans les affaires intérieures d’autres États.
Le gouvernement de Rohani et la tourmente régionale
C’est dans ce contexte que le président actuel, Hassan Rohani, est arrivé en 2013 à la présidence iranienne. En matière de politique étrangère, il a identifé une priorité : résoudre l’impasse nucléaire en négociant directement avec les États-Unis. Cela a alarmé Israël et les pays arabes du Moyen-Orient. Les pays du golfe Persique, qui depuis des années signaient des accords de sécurité avec les États-Unis, se trouvaient maintenant dans une situation où Washington négociait avec leur ennemi n°1 dans la région.
Cela a conduit certains pays, en particulier l’Arabie saoudite et Israël, à développer des actions hostiles la République islamique. L’Arabie saoudite a tenté d’augmenter la pression économique sur l’Iran en augmentant sa production nationale de pétrole, faisant ainsi baisser les prix du brut, tandis qu’Israël s’est mis à faire pression sur la Maison Blanche pour faire obstacle à un accord nucléaire avec l’Iran.
Dans l’intervalle, un autre événement a encore approfondi le fossé entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le 24 septembre 2015, une bousculade s’est produite lors du pèlerinage du Hajj à Mina, à La Mecque, entraînant la mort de plus de 2.000 pèlerins, dont 464 Iraniens. À la suite de l’incident, de hauts responsables de la République islamique ont fait des déclarations sévères à l’égard de l’Arabie saoudite et à au moins une occasion, Khamenei a menacé le gouvernement saoudien d’une « riposte violente ».
La détérioration des relations s’est poursuivie rapidement après cet événement. En janvier 2016, l’Arabie saoudite a exécuté Cheikh Nimr Baqir al-Nimr, un religieux chiite et critique du gouvernement saoudien, ainsi que 46 autres personnes. Al-Nimr était un fervent partisan des manifestations de masse antigouvernementales qui avaient éclaté dans sa province orientale en 2011, où la majorité chiite se plaignait depuis longtemps d’être marginalisée. Son exécution a été largement condamnée à travers le monde par les gouvernements et les organisations de défense des droits humains. L’Iran a déclaré que l’Arabie saoudite paierait le « prix fort » pour cette exécution et des manifestants ont incendié l’ambassade saoudienne à Téhéran puis attaqué son consulat à Machhad. Après ces attaques, les relations diplomatiques entre les deux pays ont cessé.
Cinq ans de tension extrême
Les pourparlers nucléaires entre l’Iran et le groupe P5+1 – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, plus l’Allemagne et l’Union européenne – ont duré plus de 20 mois pour finalement aboutir à la signature de l’accord de Vienne, en juillet 2015.
Israël et l’Arabie saoudite ont déclaré qu’ils ne laisseraient pas la République islamique utiliser les ressources financières disponibles grâce à cet accord, pour entacher la sécurité de la région ni pour financer des groupes paramilitaires en Syrie et au Yémen.
Dès le début du conflit en Syrie, la République islamique a utilisé toutes les ressources à sa disposition – financières, diplomatiques et militaires – pour aider le leader syrien, Bachar al-Assad, dans la répression sanglante des groupes d’opposition. Les pays arabes, en particulier les États du golfe Persique, ont riposté en déployant leurs propres ressources pour renverser Assad. Même la Turquie s’est jointe à la mêlée et le président turc Recep Tayyip Erdoğan s’est publiquement exprimé contre la politique de Khamenei en Syrie.
Le conflit entre l’Iran et Israël est un autre sous-produit de la guerre civile syrienne. Au cours de ces années, Israël a attaqué et continue d’attaquer les positions militaires iraniennes en Syrie, mais la République islamique a globalement évité de répondre directement à ces attaques.
En Irak, les Unités de mobilisation populaire, milices soutenues par l’Iran, ont parfois attaqué les forces américaines à l’intérieur du pays et sont considérées comme une menace par les États sunnites du golfe Persique. Pendant ce temps, la guerre civile au Yémen est devenue une véritable guerre par procuration entre la République islamique et l’Arabie saoudite.
Ces dernières années, les rebelles houthis au Yémen ont lancé des attaques de missiles et de drones contre l’Arabie saoudite, en particulier sur les installations pétrolières d’Aramco, et bien que les Houthis aient publiquement assumé la responsabilité de ces attaques, les États-Unis et l’Arabie saoudite continuent d’accuser la République islamique d’être le commanditaire de ces attaques.
D’une position offensive à une posture défensive
Pour toutes ces raisons, les relations entre l’Iran et les pays arabes n’ont jamais été aussi tendues. Le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire a également affaibli la capacité de la République islamique à mener à bien ses politiques régionales, tout comme les conséquences économiques sérieuses de la politique de « pression maximale » exercée par l’administration Trump contre la République islamique, ce qui a naturellement affecté les groupes et les milices affiliés à Téhéran.
Qui plus est, le rapprochement survenu ces derniers mois entre divers pays arabes et Israël a abouti de facto à un front uni constitué d’Israël et des pays arabes du golfe Persique contre la République islamique. Aujourd’hui, l’Iran plus isolé que jamais dans la région, adopte une posture défensive.