La question nucléaire : le cadeau empoissonné de Khamenei à l’Iran
Samedi 19 septembre 2020
Khamenei.com fait le bilan des 31 années qu’Ali Khamenei a passées au poste de Guide suprême de la République islamique. Cette série d’articles s’intéresse à l’un des leaders les plus secrets de la planète. Les informations sur sa vie privée sont rares et, à l’exception de son fils Mojtaba dont le nom est apparu dans la presse ces dernières années, les médias ont rarement publié des informations ou des photos de sa famille.
Ce mystère n’entoure pas seulement la vie privée du Guide suprême et de sa famille. Aujourd’hui, trois décennies après son accession au plus haut poste de la République islamique, des vidéos font surface et révèlent que son mandat n’aurait dû durer que quelques mois.
Autres zones d’ombres : des groupes d’affaires et institutions contrôlées par le Khamenei constituent l’un des secteurs les plus secrets de l’économie iranienne. Leurs transactions financières, leurs pertes et leurs profits n’ont jamais été rendues publiques. Même en politique, Khamenei refuse d’agir de manière transparente. A chaque occasion qui lui a été donnée, il a fui ses responsabilités.
La série de reportages khamenei.com tente de décrypter le mystère Khamenei.
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Depuis la Révolution islamique de 1979, la République islamique d’Iran a connu deux confrontations majeures et prolongées avec l’Occident. La première dura les huit années de la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, durant lesquelles, selon les responsables iraniens, la République islamique a tenu debout, seule face à l’Orient et à l’Occident, et bien sûr, face à Saddam Hussein.
La deuxième confrontation toutefois, ne fut pas militaire. La confrontation autour du dossier du programme nucléaire iranien entre la République islamique et l’Occident émergea sur la scène géopolitique quelques années après la guerre. Celui qui entraina l’Iran dans ce conflit n’est autre que le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, plongeant l’Iran dans des difficultés sur tous les fronts.
Sur le plan économique, l’Iran souffre de sanctions sévères et sans précédent. Sur la scème internationale, l’Iran a enfreint le chapitre 7 de la charte des Nations Unies qui donne au Conseil de sécurité le pouvoir de « constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression » et de prendre des mesures militaires et non militaires pour « restaurer la paix et la sécurité internationales ».
Sur le plan sécuritaire, le programme nucléaire a transformé l’Iran en une menace à la fois pour la sécurité de la région et celle du monde. Il a également nui aux relations de l’Iran avec de nombreux pays du Moyen-Orient et au-delà.
Depuis la guerre Iran-Irak et presque tout au long du mandat de trois présidents iraniens, la politique étrangère iranienne s’est centrée autour du programme nucléaire et a coûté énormément au pays. C’est à la demande de l’ayatollah Khamenei que le conflit s’est poursuivi, étouffant au passage le développement politique et économique de l’Iran.
Un programme nucléaire non justifié
« Les personnes les mieux informées savent que nous ne cherchons pas à obtenir une bombe nucléaire », a déclaré Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères, et ancien ambassadeur de l’Iran à l’ONU (de 2002 à 2007), dans un entretien avec Mohammad Mehdi Raji, publié en 2013 sous le titre M. l’Ambassadeur.
« Mais un observateur pourrait se demander : comment se fait-il qu’un pays puisse accepter des sanctions contre l’obtention d’une source d’énergie ? L’analyste conclut alors que l’Iran suit un objectif sécuritaire et cherche à fabriquer une bombe. C’est un malentendu qui s’est généralisé a conduit les gens à formuler toutes sortes d’opinions. »
Les paroles de Zarif sont au cœur de la confrontation entre l’Iran et les puissances occidentales : ce que l’Iran n’a jamais pu justifier ni se permettre. L’Occident n’a jamais accepté l’idée que l’Iran, avec sa richesse de ressources en pétrole et en gaz, soit effectivement intéressé par l’exploitation d’une énergie nucléaire pacifique. Quant à la fatwa de l’ayatollah Khamenei proclamant que la mise au point d’armes nucléaires était interdite par l’Islam, elle n’aura pas suffi à convaincre l’Occident.
Les décisions concernant les activités nucléaires de l’Iran n’ont jamais été prises par une administration spécifique. Le programme nucléaire a été lancé sous la supervision directe d’Ali Khamenei, et a continué de se poursuivre ainsi jusqu’à aujourd’hui. Cette décision fut prise alors même que les entreprises qui avaient conclu des accords de coopération nucléaire avec l’Iran avant la révolution décidaient de changer de cap pour ne plus travailler avec la République islamique. L’Iran ne parvint pas à les forcer de coopérer, malgré des démarches auprès de tribunaux internationaux.
La décision de l’ayatollah Khamenei poussa l’Iran dans une arène dont il ignorait tout, et dans laquelle il ne pouvait se faire aider d’aucun partenaire international. Par conséquent, les activités nucléaires de la République islamique devaient nécessairement être menées de façon souterraine.
Entre 1997 et 2001, l’Iran commence à acheter secrètement des équipements pour son programme nucléaire, dans le but d’enrichir de l’uranium au niveau national. Mais en 2002, les États-Unis ont des preuves : l’Iran cherche à maîtriser le cycle du combustible nucléaire et a construit des installations qui pourraient lui permettre d’atteindre cet objectif. En réponse, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est intervenue et a demandé au pays de s’expliquer.
L’Iran est contraint de révéler l’existence de ses installations nucléaires, comme celles de Natanz et le réacteur à eau lourde d’Arak. En juin 2003, Mohamed ElBaradei, le président de l’AIEA, accuse l’Iran de violer le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). L’organisme publie une résolution sévère contre l’Iran et exige que le pays cesse d’enrichir de l’uranium.
Entre temps, l’Iran a engagé des négociations avec la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni (E3). Il promet de suspendre l’enrichissement d’uranium et de permettre aux inspecteurs de l’AIEA de visiter ses installations nucléaires. En retour, l’E3 s’engage à ne pas porter l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
Les négociations de Saadabad sont menées sous la supervision directe de l’ayatollah Khamenei, comme le seront plus tard celles du Plan d’action global commun (PAGC) qui conduiront à l’accord nucléaire de 2015. Dans ses mémoires, Rouhani écrit que Khamenei lui a directement demandé d’ « ôter le régime d’un poids » en acceptant la responsabilité de ce dossier.
Contrôle des négociations
Pendant les négociations de Saadabad, selon certains négociateurs cités dans un documentaire de la BBC, Rohani se rend souvent dans les bureaux du président Mohammad Khatami et du Guide suprême, pour leur demander des instructions.
Selon un témoin, à la fin des négociations, le président Khatami et Hassan Rouhani rendent une dernière visite à Khamenei pour l’informer que l’accord est prêt à être signé. Khamenei les invite à ne signer seulement s’ils sont convaincus que le différend est clos et que les Européens et les Américains ne feront état d’aucun autre problème après la signature de la déclaration.
Lors d’un événement organisé en 2007 avec des étudiants de l’Université de Yazd, Khamenei évoque le souvenir des pourparlers nucléaires qui se sont déroulés pendant le mandat de Mohammad Khatami. « Lors d’une réunion de représentants dit-il, j’ai dit que s’ils voulaient faire traîner l’affaire, j’interviendrai personnellement, et je l’ai fait. J’ai demandé à ce que cette tendance à toujours faire un pas en arrière cesse et à aller de l’avant. Le premier pas doit être fait par l’administration qui a reculé. Et c’est ce qui s’est passé. »
Au moment des négociations de Saadabad, l’Iran craint de voir l’affaire renvoyée devant le Conseil de sécurité. Cela permettrait au gouvernement américain et aux cinq membres permanents du Conseil de reprendre le contrôle des événements, ce qui conduirait à une résolution contre l’Iran. Le Conseil des gouverneurs de l’AIEA avait publié plusieurs résolutions contre l’Iran avant 2005 et la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, mais l’affaire n’avait jamais été portée devant le Conseil de sécurité. Même dans la dernière résolution de l’AIEA rendue publique le 29 novembre 2004, « le droit des États au développement et à l’application pratique de l’énergie atomique à des fins pacifiques, y compris la production d’énergie électrique, conformément à leurs obligations au titre du Traité, en prenant dûment en compte les besoins des pays en développement » avait bien été souligné.
En échange de la suspension de l’enrichissement d’uranium, l’Iran attend les contreparties promises parmi lesquelles des pièces détachées d’avion et al’dhésion à l’Organisation mondiale du commerce. Non seulement aucune de ces promesses n’a été tenue, mais les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions à l’Iran. L’E3 avait convenu que l’Iran pourrait conserver certaines de ses centrifugeuses et le droit d’enrichir de l’uranium mais, finalement, ils ne parviennent pas à obtenir l’approbation de Washington.
Dans son livre The English Job: Understanding Iran and Why It Distrusts Britain (En Français, Le Job anglais : comprendre l’Iran et pourquoi il se méfie de la Grande-Bretagne) Jack Straw, alors ministre britannique des Affaires étrangères, écrit que lorsque l’E3 présente Saadabad aux Américains, les États-Unis ne veulent pas en entendre parler. Sachant l’accord voué à l’échec sans l’approbation américaine, l’E3 retourne en Iran informer les Iraniens que le « grand patron » n’est pas d’accord.
L’Iran n’a alors pratiquement rien gagné de son accord avec les Européens. Mais dans l’intervalle, le pays est parvenu à mettre en ligne plusieurs centrifugeuses, et décide donc de reprendre ses activités nucléaires. Contrairement à ce qui est raconté, les scellés des installations nucléaires ne sont pas brisés sous la présidence d’Ahmadinejad mais plutôt vers la fin de celle de Mohammad Khatami. Dans le livre M. l’Ambassadeur, Zarif déclare qu’il avait écrit une lettre de huit pages annonçant le descellement des installations nucléaires, précisant bien sûr, que l’ayatollah Khamenei l’avait encouragé à le faire.
La confrontation remplace la négociation
Après son élection, le Président Mahmoud Ahmadinejad décide de profiter de la question du descellement des installations nucléaires. Pendant ses quatre premières années au pouvoir, Ahmadinejad tente de présenter l’accord de Saadabad comme une tentative humiliante de compromis et se pose en héros de la relance du programme nucléaire iranien. Les « principalistes », ces ultraconservateurs iraniens et défenseurs des principes de la révolution de 1979, apportent un soutien sans faille à cette campagne de propagande. Les négociations entre l’Iran et l’Occident sur le programme nucléaire deviennent de plus en plus conflictuelles.
Faisant fi des avertissements de l’AIEA, l’Iran continue de développer son programme nucléaire et son dossier est finalement renvoyé devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
En 2008, dernière année de la présidence de George W. Bush, l’Iran exploite plus de 4 000 centrifugeuses et, selon les responsables américains, a réussi à produire plus de la moitié de l’uranium enrichi nécessaire pour fabriquer une bombe nucléaire. Parallèlement, en raison de la politique étrangère agressive de l’administration Ahmadinejad vis-à-vis certains pays arabes voisins, ces derniers exercent à leur tour une forme de pression sur l’Iran qu’ils présentent comme une menace nucléaire.
Au printemps 2009, Ahmadinejad qualifie l’accord de Saadabad d’ « honteux » dans l’un de ses discours : « Quand, à Saadabad, ils ont mis en place cet accord unilatéral, coercitif et… honteux, ils se sont dit que c’en était fini de la nation iranienne… Ils ont dit que toutes les activités doivent cesser, les laboratoires doivent fermer leurs portes et que les cours sur l’énergie nucléaire doivent être supprimés des programmes universitaires. » Il a tenu ces propos alors que les négociations de Saadabad avaient été menées sur ordre de l’ayatollah Khamenei et sous sa supervision personnelle. Comme à son habitude, ce dernier n’a fait aucun commentaire sur les déclarations d’Ahmadinejad.
Une semaine plus tard, c’est finalement Rohani qui lui répond : « Malheureusement de nos jours, la plupart des commentaires critiques sur la diplomatie nucléaire du gouvernement entre 2003 et 2005 sont faux, biaisés et, dans certains cas, des mensonges absolus. »
Une fois de plus, Ali Khamenei préfère garder le silence, après avoir publiquement soutenu l’accord de Saadabad. Plus tard, dans une interview accordée en 2013 à la radio de la République islamique d’Iran (IRIB), Rohani confirme le soutien de Khamenei. « Douze jours après les négociations [de Saadabad], le Guide a déclaré que ces négociations avaient détruit la conspiration israélo-américaine, déclare-t-il. Si vous voulez, je peux vous lire les mots exacts du Guide. C’est un exemple de déclaration erronée dont je parlais. L’IRIB a tellement répété ces fausses déclarations que maintenant, vous-mêmes, vous en êtes venu à le croire. »
Négociations secrètes avec les États-Unis
Finalement, avec la pression croissante sur l’Iran pendant le second mandat d’Ahmadinejad entre 2009 et 2013, Téhéran décide d’engager de nouvelles négociations, plus sérieuses. George W. Bush s’apprête de son coté à terminer son mandat et son administration souhaite marquer son départ par une victoire en politique étrangère. Elle accepte alors d’envoyer un représentant aux négociations en cours entre l’Iran et le groupe appelé P5+1 qui comprend les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, et l’Allemagne.
Et c’est ainsi que, durant l’été 2008, William Burns, le principal négociateur américain, s’assied pour la première fois à la table des négociations avec Saïd Jalili, le principal négociateur nucléaire de l’Iran à l’époque. Mais selon les écrits de Burns dans son livre The Back Channel: A Memoir of American Diplomacy and the Case for Its Renewal, cette série de pourparlers ne s’est pas bien déroulée.
« Jalili s’est lancé dans près de quarante minutes de discours tortueux sur la culture et l’histoire de l’Iran et sur le rôle constructif qu’il pourrait jouer dans la région , écrit Burns. Jalili a conclu ses propos en remettant un ‘’non-paper’’ iranien [un accord diplomatique officieux].
« La version anglaise était à tort intitulé ‘’None-Paper’’ [aucun accord en Français], ce qui s’est avéré être une description appropriée du message en susbstance. [Le chef de la politique étrangère de l’UE, Javier] Solana et nous autres l’avons rapidement examiné, puis mon collègue français a grommelé et murmuré ‘’bidon’’, ce qui a surpris grandement Jalili et m’a sorti de mon air impassible. »
Ahmadinejad ne semblait pas se préoccuper de la crise vers laquelle se dirigeait l’Iran. Il utilisait au contraire le programme nucléaire pour semer des divisions entre le public et la communauté politique iranienne. C’est sous Ahmadinejad que le programme nucléaire iranien, au-delà de différend international bien connu, s’est transformé en sujet de discorde entre les factions politiques à l’intérieur du pays. Enfin, c’est à cause de la politique d’Ahmadinejad que le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution contre l’Iran, appelant la République islamique à cesser d’enrichir de l’uranium.
La carotte et le bâton d’Obama
L’arrivée de Barack Obama à la tête des Etats-Unis en 2009 modifie la politique officielle américaine à l’égard du programme nucléaire iranien. Obama promet de négocier avec l’Iran et, en même temps, de renforcer les mécanismes d’application des sanctions.
En mai 2009, Obama écrit une longue lettre secrète à l’ayatollah Khamenei dans laquelle il souligne que les États-Unis sont déterminés à empêcher l’Iran de construire une arme nucléaire. Il assure à Khamenei que son administration ne recherche pas non plus de changement de régime en Iran et qu’il est prêt à négocier. Comme l’écrit William Burns dans son livre, la réponse de Khamenei à Obama est « décousue, et selon la grille de lecture de la rhétorique révolutionnaire iranienne, ni spécialement à cran, ni tranchante. Le président Obama lui propose dans une courte lettre de créer un canal bilatéral discret pour des pourparlers. »
Entretemps, les sanctions contre l’Iran sont restées en place. L’élection présidentielle contestée de 2009 en Iran et les violences qui ont suivi, bloquent l’espoir de nouvelles négociations. Après l’élection, l’ayatollah Khamenei critiquent à plusieurs reprises la politique américaine à l’égard de l’Iran et, dans l’un de ses discours, il déclare que les États-Unis cacheraient leur «main de fer » dans un « gant de velours », une référence à l’offre de négociation d’Obama.
Un nouvel incident change la donne. Peu de temps avant que l’Assemblée générale de l’ONU ne se réunisse en septembre 2009, les services de renseignement américains, britanniques et français découvrent un site nucléaire secret, appelé Fordow, et situé dans les montagnes de Qom. Ce site peut accueillir jusqu’à 3000 centrifugeuses.
La Chine et la Russie, qui soutiennent généralement l’Iran, demandent à leur tour des comptes à la République islamique. Finalement, le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité adopte la résolution 1929 contre la République islamique et l’Iran doit se soumettre aux sanctions internationales les plus sévères.
L’épisode contraint l’ayatollah Khamenei à accepter l’offre de négociations secrètes des États-Unis. En plus de mener des négociations secrètes à Oman entre 2011 et 2013, à la fin de la présidence d’Ahmadinejad, Khamenei transfère le dossier nucléaire du Conseil suprême de sécurité nationale au ministère iranien des Affaires étrangères d’Ali Akbar Salehi, diminuant ainsi l’autorité de négociateur nucléaire en chef de Saïd Jalili.
L’idée de négociations secrètes avec l’Iran avait d’abord été proposée par le sultan Qaboos, le roi d’Oman. Selon William Burns, le sultan Qaboos a informé Obama qu’il pouvait contacter des responsables iraniens avec la permission du Guide suprême. Les pourparlers sont en cours lorsqu’en 2013, Rohani remporte la présidence. Il promet de résoudre le dossier nucléaire, et entamme immédiatement des négociations avec les Etats-Unis, avec le feu vert de l’ayatollah Khamenei.
Le dossier est géré par de nouveaux négociateurs iraniens, Abbas Araghchi et Majid Takht-Ravanchi. D’après les souvenirs de William Burns, ces deux responsables recevaient les ordres directs de l’ayatollah Khamenei. Selon Burns, « ils ne parlaient pas beaucoup des difficultés qu’ils rencontraient en Iran, mais avaient tout de même confié avoir un Guide suprême qui n’attendait qu’une chose : leur rétorquer ‘’je vous l’avais dit’’, et prouver que les Américains ne pouvaient être dignes de confiance, et qu’Obama était tout aussi déterminé à changer le régime que Bush. »
« Flexibilité héroïque »
Tout au long des pourparlers avec l’administration Obama, l’ayatollah Khamenei salue les efforts de l’équipe de négociation, en louant, à l’été 2013, leur « flexibilité héroïque ». Deux mois plus tard, il réitéré son soutien face à des étudiants.
« Personne ne devrait penser que ces négociateurs font des compromis », leur explique-t-il. « Ce sont des agents de la République islamique. Ce sont les enfants de la Révolution… Nous n’allons pas perdre quoi que ce soit. »
Il fait savoir cependant qu’il ne présente pas beaucoup d’optimisme quant aux issues des négociations. En 2014, après que une double prolongation des négociations sans aboutissement à un accord final, Khamenei convient qu’elles doivent se poursuivre. « Je ne suis pas contre la prolongation des négociations, comme je n’étais pas contre les négociations en premier lieu, déclare-t-il. Si ces négociations ne donnent aucun résultat, ce sera une perte pour les Américains mais pas pour nous. » Il souligne également à plusieurs reprises que l’Occident et en particulier les États-Unis ne peuvent pas être dignes de confiance et partage son manque d’optimisme. « Bien sûr, déclare-t-il dans un discours, comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas optimiste mais… nous soutenons fermement nos responsables qui sont actifs sur le front diplomatique. »
Après la signature définitive du PAGC à Genève, l’ayatollah Khamenei répond avec beaucoup de prudence à la lettre de Rohani concernant l’accord, ce qui lui permettrq plus tard de nier toute responsabilité pour l’accord à venir. La lettre de Rohani expliquait en substance que l’accord de Genève donnait à l’Iran le droit d’enrichir de l’uranium. D’autre part, ses droits nucléaires avaient également été reconnus par les États-Unis. Mais au lieu de reconnaître explicitement la « bonne nouvelle » de Rohani, Khamenei remercie avec tiédeur « l ’équipe de négociation nucléaire et les autres personnes impliquées ».
Selon certains observateurs, Khamenei aurait choisi ce ton pour s’assurer d’une part les pleins pouvoirs sur le déroulement des négociations et, d’autre part, de pouvoir nier toute responsabilité quant à ses aboutissements, si cela devenait nécessaire.
Des attaques acérées sont lancées à l’encontre de l’équipe de négociation, à la fois pendant les pourparlers et après la signature du PAGC, par des responsables au cœur du système de la République islamique, directement ou indirectement liés au Guide suprême. Un certain nombre de commandants des Gardiens de la Révolution, des imams du vendredi nommés par Khamenei, et des membres du Conseil de discernement et du Conseil des gardiens ont constamment et durement critiqué l’équipe de négociations et l’accord qu’ils avaient conclu. Saïd Jalili, l’ancien négociateur en chef sur le nucléaire se cache derrière certaines de ces attaques. Après l’arrivée de Rohani à la présidence, Jalili a été nommé au Conseil stratégique sur les relations extérieures, un organe qui se décrit comme « un groupe de réflexion et un organe consultatif auprès du Guide de la Révolution islamique d’Iran. »
Pas de « calice empoisonné » pour Khamenei
Depuis qu’il est devenu Guide suprême, Ali Khamenei a cherché à garder la main sur le programme nucléaire iranien, tout en s’absolvant de toute responsabilité sur les conséquences qu’il pourrait avoir. Le programme nucléaire était l’un des dossiers les moins partisans de la politique étrangère iranienne, mais il a provoqué une guerre entre factions politiques pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. L’ayatollah Khamenei n’a jamais reconnu cette scission idéologique.
Alors que le PAGC pourrait sombrer totalement après la la décision du président américain Donald Trump de se retirer unilatéralement, Khamenei a choisi de s’en prendre à l’accord lui-même. « Heureusement, même si le PAGC nous a fait beaucoup de mal, ses fondements sont toujours en place , a-t-il déclaré un jour, de manière ambiguë. De bonnes choses sont en train d’être réalisées et c’est quelque chose que l’ennemi ne souhaite pas. »
Khamenei avait demandé à Rohani d’ « ôter le régime d’un poids ». Mais c’est pourtant lui qui a transformé la question nucléaire en l’un des fardeaux les plus lourds pesant sur les épaules de la République islamique. Lorsque l’ayatollah Khomeini a accepté une trêve avec l’Irak, il a déclaré qu’il buvait d’un calice empoisonné. Mais contrairement à son prédécesseur, Khamenei n’a même pas le courage de prendre le verre.