Ruhollah Khomeiny et Ali Khamenei : un ayatollah et son acolyte
Khamenei.com fait le bilan des 31 années qu’Ali Khamenei a passées au poste de Guide suprême de la République islamique. Cette série d’articles s’intéresse à l’un des leaders les plus secrets de la planète. Les informations sur sa vie privée sont rares et, à l’exception de son fils Mojtaba dont le nom est apparu dans la presse ces dernières années, les médias ont rarement publié des informations ou des photos de sa famille.
Ce mystère n’entoure pas seulement la vie privée du Guide suprême et de sa famille. Aujourd’hui, trois décennies après son accession au plus haut poste de la République islamique, des vidéos font surface et révèlent que son mandat n’aurait dû durer que quelques mois.
Autres zones d’ombres : des groupes d’affaires et institutions contrôlées par le Khamenei constituent l’un des secteurs les plus secrets de l’économie iranienne. Leurs transactions financières, leurs pertes et leurs profits n’ont jamais été rendues publiques. Même en politique, Khamenei refuse d’agir de manière transparente. A chaque occasion qui lui a été donnée, il a fui ses responsabilités.
La série de reportages khamenei.com tente de décrypter le mystère Khamenei.
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L’entourage de l’ayatollah Khamenei a toujours cherché à le présenter comme le plus proche allié de l’ayatollah Khomeiny pendant les dernières années de sa vie. Mais des témoignages de l’élite politique iranienne de l’époque suggèrent le contraire : toutes les faveurs que Khomeiny accordait à son futur successeur avaient en réalité été orchestrées par des auxiliaires. Par ailleurs, Khomeiny aurait publiquement humilié Khamenei à deux reprises au moins.
Khomeiny n’a jamais été plus élogieux à l’égard de Khamenei que pour ses autres partisans. Durant l’été 1982, il a déclaré au secrétaire général et à d’autres membres du comité central du Parti de la République islamique: « Je connais les gens qui ont créé ce parti. J’ai élevé M. Khamenei. J’ai élevé M. Hachemi. J’ai élevé M. [Mohammad Hossein] Beheshti. »
Avant la révolution islamique de 1979, le cercle des étudiants de l’ayatollah Khomeiny se composait d’Akbar Hachemi Rafsandjani, Morteza Motahari et Mohammad Hossein Beheshti. Au sein de ce petit groupe, l’ayatollah Montazeri et l’ayatollah Taleghani étaient les figures de proue de la lutte qui opposait les islamistes iraniens au régime du Chah.
Dans les jours précédant la chute du Chah, un conseil révolutionnaire était mis en place, mais Khamenei n’a pas été immédiatement invité à y participer. À l’époque, Khomeiny se trouvait en France et préparait son retour en Iran. L’ayatollah Montazeri aurait suggéré que Khamenei rejoigne le conseil, mais selon Montazeri, Khomeiny avait répondu qu’il se trouvait « à Mashhad ».
Suite à son déménagement à Qom, l’ayatollah Montazeri avait suggéré que Khamenei le remplace dans sa fonction d’imam du vendredi à Téhéran.
Pendant son deuxième mandat présidentiel, entre 1985 et 1989, Khamenei fut contraint par Khomeiny de nommer Mir Hossein Moussavi Premier ministre pour la seconde fois.
Humilié par Khomeiny
L’ayatollah du faire face à une première humiliation du Guide suprême à l’époque de débats autour de réformes de lois sur le travail. Répondant à des critiques qui animaient la sphère politique, Khamenei annonçait dans son sermon du vendredi 1er janvier 1988 à Téhéran: « L’imam [Khomeiny] a déclaré que le gouvernement peut exiger des employés qu’ils acceptent toutes les conditions fixées par le gouvernement; cela ne signifie pas ‘n’importe quelle’ condition mais seulement celles qui sont acceptables dans le cadre reconnu par la loi islamique. »
Dans une lettre écrite le 6 janvier, Khomeiny remettait en cause ces propos, qu’il jugeait contraires aux siens. « Apparemment, vous n’êtes pas d’accord » avec le fait que la « tutelle » islamique absolue, telle que remise par Dieu au prophète Mahomet, ait la primauté sur toutes les décisions de la charia. Il ajouta ensuite n’avoir jamais souhaité que le gouvernement se limite au cadre des règles islamiques individuelles. En d’autres termes, la « tutelle » ou le gouvernement islamique, dans ce cas représenté par Khomeiny lui-même, pouvait outrepasser les restrictions individuelles de la charia.
Une fois Khamenei revenu sur sa position et avec l’aide d’Akbar Hachemi Rafsandjani, Khomeiny adressait une seconde lettre à Khamenei pour effacer la pique contenue de la première missive : Khamenei « connaît les questions liées à la charia et y est attaché » tacha-t-il de rattraper avant d’ajouter que « Parmi nos amis et ceux qui sont attachés à l’Islam et aux principes islamiques, vous êtes parmi les rares qui brillent comme le soleil ».
L’affaire Salman Rushdie
Khamenei fut publiquement humilié une seconde fois suite à des déclarations faites concernant la fatwa contre Salman Rushdie.
Le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeiny lançait une fatwa ordonnant aux musulmans d’exécuter l’auteur du roman Les versets sataniques Salman Rushdie, et toute autre personne liée au roman. Trois jours après la publication de la fatwa, Khamenei déclarait dans son sermon du vendredi que Rushdie « pourrait être pardonné » s’il se repentait, reniait son livre et implorait le pardon de l’Imam et des musulmans du monde entier.
Un jour plus tard, l’ayatollah Khomeiny niait catégoriquement la possibilité de retirer la fatwa: « Même si Salman Rushdie se repent, et même s’il devient la personne la plus pieuse de notre époque, il incombe à chaque musulman de faire tout ce qui est en son pouvoir pour l’envoyer en enfer » précisait le bureau de Khomeiny dans un communiqué.
Une fois de plus, Khamenei dut battre en retraite. « Le décret de l’imam concernant cet auteur est un décret immuable de la charia », déclarait Khamenei le 8 avril 1989. « La condamnation à mort de Rushdie est inconditionnelle car il a insulté ce qui est saint aux yeux d’un milliard de musulmans. »
Selon de nombreux témoignages, après le limogeage de l’ayatollah Montazeri, l’« héritier présumé » de Khomeiny, Khamenei n’était pas favori pour le poste de Guide suprême. D’autres candidats comme Hachemi Rafsandjani ou l’ayatollah Abdul Karim Moussavi Ardebili avaient été envisagés comme successeur par Khomeiny lui-même. Quelques jours avant sa mort, Khomeiny aurait même invité Hachemi Rafsandjani à se préparer au rôle de Guide suprême mais Rafsandjani s’y serait opposé
Selon certains observateurs, Hachemi Rafsandjani pensait pouvoir diriger le pays après la mort de Khomeiny sans devenir Guide suprême, et donc fait campagne en faveur d’Ali Khamenei pour le poste. Pari réussi pour ce politicien iranien qui en 1989 succéda à Khamenei à la présidence de la République islamique.